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La dépression demeure un sujet tabou pour plusieurs personnes âgées

La doctorante Karine Demers cherche à comprendre comment les personnes âgées perçoivent les problèmes de dépression et les services de santé et pourquoi elles sont peu enclines à consulter leur médecin

Selon Karine Demers, le nombre de personnes âgées souffrant de dépression est généralement sous-estimé.
Selon Karine Demers, le nombre de personnes âgées souffrant de dépression est généralement sous-estimé.
Photo : Robert Dumont

30 août 2007

Robin Renaud

Il est difficile de déterminer clairement la prévalence de la dépression chez les personnes âgées, mais on estime qu'entre 8 et 16 % des aînés peuvent en souffrir. Une chose qui apparaît plus clairement, c'est que les gens du troisième âge qui ressentent des symptômes dépressifs sont relativement peu nombreux à oser en parler à leur médecin – environ une personne sur cinq. Dans le cadre de son projet de doctorat, Karine Demers tente de mieux cerner ce phénomène afin de dégager des pistes de solutions, en vue de réduire le nombre de dépressions non traitées chez les aînés. Ces recherches s'inscrivent dans le cadre du projet Étude de la santé des aînés, dirigé par le professeur Michel Préville, du Département des sciences de la santé communautaire.

Un mal difficile à identifier

Selon Karine Demers, le nombre de personnes âgées souffrant de dépression est généralement sous-estimé. «Par exemple, les personnes âgées vivant en institution sont souvent exclues des études épidémiologiques, alors qu'on note une forte prévalence des problèmes de dépression dans cette population (25 à 35 %). De plus, dans bien des cas, les médecins ne reconnaissent pas les symptômes dépressifs chez les personnes âgées, puisque ceux-ci sont souvent associés à d'autres problèmes de santé, comme les maladies cardiovasculaires ou la maladie d'Alzheimer. Par ailleurs, les symptômes dépressifs sont souvent considérés comme faisant partie du processus normal du vieillissement, tant pour les personnes elles-mêmes que pour plusieurs médecins», poursuit-elle.

Surtout, on constate que les aînés rapportent davantage leurs symptômes physiques, mais hésitent à parler de leurs symptômes de nature psychologique à leur médecin. «Ils ont souvent peur de se voir attribuer un diagnostic psychiatrique et d'être stigmatisés», constate Karine Demers.

Perception négative

Les problèmes de dépression apparaissent donc comme un sujet tabou aux yeux de plusieurs aînés. «Les personnes âgées sont plus susceptibles d'entretenir une attitude négative face à l'utilisation des services de santé pour un problème de santé mentale, dans la mesure où elles associent ces problèmes à un échec personnel ou comme étant en contradiction avec leur spiritualité, indique l'étudiante. Certaines personnes craignent aussi de perdre leur indépendance, ce qui pourrait se traduire par l'interdiction de conduire leur voiture, l'impossibilité de gérer leurs finances ou le fait d'être institutionnalisé.»

S'ajoute parfois la peur d'être médicamenté, que les médecins ne soient pas à leur écoute ou que leur entourage les juge. «Plusieurs personnes associent les problèmes de santé mentale à la folie», mentionne la doctorante.

Causes et conséquences

Plusieurs événements peuvent conduire les personnes âgées vers des problèmes de dépression. Un deuil non résolu, des incapacités physiques ou d'autres problèmes de santé ainsi que les transitions de vie comme la retraite font partie des causes. Le risque de dépression est également plus grand chez les femmes, les personnes avec un faible statut socioéconomique et celles avec un faible support social, entre autres.

Cependant, les problèmes dépressifs non traités peuvent avoir des conséquences sociales et individuelles importantes. «Il peut en résulter une aggravation de la condition de santé des personnes, puisque la dépression s'accompagne souvent de mauvaises habitudes de vie comme le tabagisme, une mauvaise alimentation et le manque d'activité physique, explique Karine Demers. La souffrance qui accompagne la dépression peut également réduire la qualité de vie pour la personne elle-même, mais également pour son entourage.»

Ces situations peuvent aussi se répercuter sur le système de santé, par une institutionnalisation précoce, des consultations médicales à répétition et éventuellement des coûts importants pour l'État. On note aussi un risque accru de mortalité, notamment en ce qui a trait aux suicides liés à une dépression majeure – surtout chez les hommes de 60 ans et plus.

Changer les croyances

Dans le cadre de son projet, Karine Demers cherche donc à mieux comprendre les croyances et les attitudes des personnes âgées qui ont une incidence sur la décision de consulter ou non un médecin pour des problèmes de dépression. «Ainsi, cette recherche fournira des données sur la santé mentale des personnes âgées aux organismes oeuvrant dans le secteur de la santé publique, dit-elle. Cela viendra combler une carence importante, puisqu'il existe peu d'information sur la santé mentale des aînés au Québec.» En effet, les études sur le sujet sont majoritairement américaines et européennes. La doctorante souhaite ainsi qu'on puisse changer certaines croyances, par exemple, par des campagnes de sensibilisation, ce qui pourrait induire un changement de comportement des personnes âgées et les inciter davantage à consulter leur médecin pour des symptômes dépressifs.

La collecte de données est sur le point d'être complétée et la rédaction de la thèse est prévue pour l'an prochain. L'étude s'annonce des plus pertinentes dans le contexte du vieillissement de la population et du défi qu'il pose à notre système de santé.